Lundi 29 août
Ils sont toujours au port Saint-Sauveur de Toulouse. Ils ont été réveillés au petit matin par le bruit d’une averse.
La pompe de cale s’est enclenchée. Ils ne s’en inquiètent plus. Ils savent que le bateau prend l’eau par temps de pluie. C’est le prix à payer pour le toit coulissant. Au lever la couverture nuageuse est toujours présente. Comme prévu, la journée est consacrée à des tâches domestiques: lessive, remplissage des bouteilles d’eau potable, remplacement d’une bonbonne de gaz et surtout nettoyage intérieur intensif du bateau.
«L’autre» se regarde avec complaisance dans la baie vitrée de la capitainerie.
Mardi 30 août
Ils ont décidé de passer une nuit supplémentaire au port Saint-Sauveur de Toulouse.
Ils consacrent la matinée au nettoyage extérieur du bateau. Ils ont passé quelques nuits sous les platanes avant de s’installer au port. Ils ne quitteront pas Toulouse sans une escapade au centre ville pour vérifier qu’ils ont gardé en mémoire les ballades de l’été dernier. La ville rose se mire dans ses devantures. Ils retrouvent la boutique La Fleurée de Pastel qu’elle tenait à revoir. Ils rejoignent le bateau un peu étourdis par le mouvement de la foule. Au fil de l’eau ils ont perdu l’habitude de l’animation du centre ville.
La nuit tombée, les lumières et les reflets théâtralisent le quai. Dans le miroir de l’eau, même l’ordinaire peut séduire.
Jeudi 1er septembre
La veille, à peine se sont-ils installés pour la nuit, qu’ils sentent le bateau bouger et entendent du bruit sur le plat-bord arrière.
Ils se lèvent et aperçoivent un jeune s’enfuir. Le jeune récidive peu de temps après. Ils décident de rentrer les vélos convoités.
Ils larguent les amarres vers 9:30 après une nuit au sommeil trop léger. Ils laissent derrière eux la passerelle des Soupirs et le port Saint-Sauveur de Toulouse. Après quelques trois kilomètres, le canal enjambe l’autoroute dans un curieux bousculement chronologique. Dans le tissu urbain moins dense de la périphérie, le caractère du canal s’affirme. Sur près de deux kilomètres, la berge à tribord est occupée par des bateaux logements, plus nombreux dans la banlieue sud que dans celle du nord. Ils franchissent la première écluse de l’étape, celle de Castanet. L’ancienne maison éclusière est occupée par un restaurant. A la sortie de l’écluse, les platanes offrent généreusement leur ombre. Il ne leur en faut pas plus. Ils plantent les clous et amarrent le bateau après deux petites heures de navigation.
Vendredi 2 septembre
L’été a été sec. Les couleurs de l’automne sont précoces. Les feuilles mortes des platanes nappent déjà la surface de l’eau.
Ils ont largué les amarres vers 9:30. C’est désormais semble-t-il leur heure. Ils franchissent l’écluse de Vic. La maison éclusière est ici aussi occupée par un bistrot. Des chaises longues attendent les clients. C’est toutefois un peu tôt pour amarrer le bateau. Ils n’ont même pas parcouru deux kilomètres. Le canal du Midi, contrairement à celui de Garonne, est sinueux. La végétation étale sa palette de couleurs sous des angles variés. Ils plantent les clous à Montgiscard après deux petites heures de navigation. Ils ont décidé de flâner sur le canal du Midi.
La Brasserie de l'Ecluse est fermée. L’année dernière, c’était jour de repos; cette année, vacances. Sur la place de l’église, le valeureux bistrot Le Chardon reste ouvert tout l’été. L’horloge du clocher de l’église n’a toujours pas été réparée. Comme l’année dernière elle indique 2:27.
Samedi 3 septembre
La végétation n’était pas assez dense pour calmer l’ardeur du soleil. Ils ont souffert du chaud. La nuit aussi. Aujourd’hui, ils devront trouver un meilleur abri. On annonce toujours plus de 30 degrés.
C’est au matin que la température à bord est la moins chaude. Ils somnolent plus longtemps que d’habitude et lèvent les clous vers 10:30. La vitesse sur le canal est limitée à 8 km/h. Ils vont pourtant plus vite que les véhicules bloqués en plein soleil dans un bouchon sur l’autoroute A61 qui longe la voie d’eau. Jusqu’au bief de partage, les écluses simples sont automatisées; les doubles, actionnées par des éclusiers. Ils se présentent devant l’écluse double de Laval en pleine pause de midi et doivent attendre une demie-heure le retour de l’éclusière. A l’approche de l’écluse de Gardouch, ils repèrent l’endroit attendu et amarrent le bateau à deux arbres, après quatre heures de navigation, près de 14 kilomètre et quatre écluses dont deux doubles. Les provisions s’épuisent. Ils n’ont plus que des conserves. Le village est à environ deux kilomètres. Ils n’ont pas le courage de s’y rendre à découvert le long d’une route, maintenant qu’ils ont trouvé de l’ombre. Ils ont passé l’âge de faire de l’auto-stop. A l’écluse, l’Estanquet est ouvert.
Dimanche 4 septembre
Ils avaient amarré le bateau sous des chênes. Les glands ne salissent pas. Par contre ils font du bruit quand ils tombent.
Elle insiste pour larguer les amarres vers 9:00 afin de ne pas devoir patienter au pied d’une écluse en pleine pause de midi. A l’écluse double d’Encassan, l’éclusier leur demande de patienter pour laisser la priorité à une péniche à passagers qui arrivent derrière eux. Ils seraient partis une heure plus tard qu’ils en seraient au même point. Ils font une pause à Port-Lauragais pour ne pas se présenter devant la prochaine écluse à la pause de midi. Ils ne savent pas qu’ils ne la franchiront même pas. Une belle voûte de platanes précède l’écluse et ils décident de planter les clous. «L’autre» ne sera pas seul; d’autres ont eu la même idée. Il est près de 14:00. Ils auront mis cinq heures pour parcourir une douzaine de kilomètres.
Rien ne sert de partir tôt; il faut partir à temps. Mais allez savoir quand il est temps! Demain, ils partiront à l’heure, la leur.
Lundi 5 septembre
Ils se sont endormis au seuil de l’écluse. Ils lèvent les clous vers 11:00. C’est leur heure, ce matin.
Ils franchissent l’écluse de l’Océan, la dernière montante pour eux. Sur la façade de la maison éclusière, une plaque en la mémoire de Thomas Jefferson, symbole de l’amitié franco-américaine. Quelques cinq cents mètres après l’écluse, ils ne peuvent résister à l’invitation d’une généreuse voûte de platanes et de chênes. Au bout de la voûte, le paysage est accablé de soleil. Ils plantent les clous. C’est leur record d’étape: une écluse et moins d’un kilomètre.
Dans l’après-midi, ils décident de reprendre la navigation pour passer la soirée et la nuit à Le Ségala, à quelques deux kilomètres, où leur guide fluvial indique la présence d’un bistrot. Le Relais de Riquet est fermé le lundi. Ils auraient dû s’en douter. Ils en resteront aux conserves.
Ils sont au milieu du bief de partage des eaux entre l’Océan et la Méditerranée, point culminant du canal à 190 m d’altitude. Ici, l’eau stagne dans l’incertitude de son destin. Elle coulera soit vers l’Océan, soit vers la Méditerranée, entraînée par les bateaux qui descendront dans l’une ou l’autre direction.
Mardi 6 septembre
Ils quittent Le Ségala vers 9:45 en renonçant à toute planification de l’étape. A l’écluse de la Méditerranée ils commencent la descente du canal.
Au repos, les écluses sont vides. Il faut attendre le remplissage pour s’y engager. Il faut parfois également attendre que des bateaux montants les franchissent. Et parfois il faut attendre parce que l’écluse est en panne. C’est le cas de l’écluse de Domergue. A la précédente, l’écluse-triple de Laurens, l’éclusier leur a proposé un plateau de figues fraîches cueillies sur place ce matin. Ils en dégustent en attendant le dépannage de l’écluse.
Ils pensaient faire escale à Castelnaudary. A quelques deux kilomètres du but, ils décident de planter les clous et d’amarrer le bateau pour profiter encore de l’ombre des platanes. Il est près de 14:00, la journée sera encore chaude et ils savent que le port de Castelnaudary n’offre pas de places ombragées. Ils savent aussi que devant eux, plus à l’Est, les platanes décimés par un champignon, le chancre coloré, seront plus avares de leur ombre.
Mercredi 7 septembre
Un fort vent plaque le bateau à la berge. Ils ont quelque difficulté à l’en détacher. Moins d’une demie-heure plus tard, ils amarrent le bateau au port de Castelnaudary.
Le soleil est toujours impitoyable. Mais le vent rend la chaleur supportable. La météo annonce une journée pluvieuse pour le lendemain et des passages nuageux pour les jours suivants. Après une semaine d’amarrages en sauvage, ils décident d’une escale de 5 nuits. Le temps de l’escale, ils suspendront la rédaction des carnets de bord, sauf circonstances particulières.
Jeudi 8 – dimanche 11 septembre
Ils réalisent une rencontre improbable avec des amis britanniques en balade dans le sud-ouest de la France, en route pour les Pyrénées.
Ils profitent de l’escale prolongée au port de Castelnaudary pour faire la lessive, deux fois; nettoyer le bateau, un peu; compléter les provisions, en plusieurs fois, sans trop se charger, puisqu’ils ont le temps. Ils retrouvent les terrasses des bistrots de l’Avenue de la République et du Quai du Port. Ils se font livrer à bord une cassole de cassoulet de chez Escudier. Ils se baladent autour du Grand Bassin et visitent l’échelle de quatre écluses de St-Roch qu’ils descendront en quittant Castelnaudary. Deux vélos sauvés des eaux sèchent sur le quai.
Le port se repose et s’endort dans les reflets du coucher de soleil et des réverbères. Demain, «l’autre» reprendra la navigation, à moins que le vent annoncé ne soit trop violent.
Lundi 12 septembre
Ils larguent les amarres vers 9:00 sous un vent soutenu, passent sous le Pont Vieux, traversent le grand bassin et se présentent devant l’échelle d’écluses de St-Roch.
En aval de Castelnaudary, les écluses sont particulièrement nombreuses: les 4 de St-Roch, la double de Gay, la triple de Vivier et des simples qui se succèdent à intervalle rapproché. Sous le vent qui forcit, le canal prend l’allure d’une rivière qui coule. Inutile de pousser jusqu’à Bram aujourd’hui; le bistrot installé dans l’ancienne maison d’écluse est fermé le lundi. A l’approche de l’écluse de la Peyruque, ils décident de planter les clous et d’amarrer le bateau sous une allée de platanes. Ils se souviennent que la maison d’écluse est occupée par une céramiste qui y tient boutique, sert des boissons et des tartelettes au citron faites maison. En deux heures et demie ils ont parcouru à peine sept kilomètres, mais franchi douze écluses.
Mardi 13 septembre
Bram est à une dizaine de kilomètres et six écluses. Ils lèvent les clous vers 9:30 sous un vent de face toujours soutenu.
Des cyclistes qui comme eux luttent contre le vent les devancent sur l’épanchoir de Villepinte. Eux n’auront pas d’attente aux écluses. Sur le versant Est du canal, les bateaux de location sont plus nombreux que sur le versant Ouest. Les éclusiers évitent les bassinées à vide dans un souci d’économie de l’eau. Il faut parfois attendre l’arrivée d’un bateau montant pour le remplissage de l’écluse; parfois également attendre d’être rejoint dans l’écluse par d’autres bateaux pour le déclenchement de l’éclusage. Il leur faut trois heures pour atteindre le petit port de Bram où il reste encore une place pour «l’autre», au pied de la terrasse de L’île aux oiseaux. Un autre a dû s’installer sur la berge.
Mercredi 14 septembre
La veille, ils ont pris le repas du soir à L’île aux oiseaux. A la tombée de la nuit, le bistrot prend des allures de stand de fête foraine.
La nuit, le vent est tombé; la pluie l’a remplacé. Au lever, il pleut toujours. En une nuit, ils ont perdu 10 degrés. Il fait presque frais. Ils resteront à quai aujourd’hui. En fin de matinée, ils font la rencontre inattendue de tricycles étonnants à assistance électrique solaire en route pour le Maroc. Ici, il pleuvinera toute la journée.
Le tagueur a remplacé la peinture par de la mousse, en fredonnant peut-être la chanson de John Lennon.
Jeudi 15 septembre
Au lever le ciel est dégagé. Les prévisions annoncent un retour des perturbations pour demain et après-demain. Ils profiteront de l’accalmie pour atteindre Carcassonne où il laisseront passer le mauvais temps.
Ils quittent le port de Bram vers 9:30. La lumière oblique du début de journée dans la végétation peint des compositions quasi abstraites. Ils en profitent; ils savent qu’au-delà de Carcassonne les plantations ont été décimées par le chancre coloré. «Adagio» a touché le fond; il s’accroche encore à la berge.
Pendant la pause des écluses, ils prennent le repas de midi au restaurant la Rive Belle installé à l’écluse d’Herminis. Le passage des écluses est ralenti par un trafic qui se densifie: bateaux de location et bateaux passagers. Les faubourgs de Carcassonne se profilent sous l’arche d’un pont. Ils amarrent le bateau au port vers 16:15. Ils viennent d’établir leur record d’étape de la saison: 24 kilomètres et 6 écluses en près de 7 heures.
Vendredi 16 septembre
Pour faire escale à Carcassonne avant le retour annoncé du mauvais temps, ils se sont astreints la veille à une étape particulièrement longue; longue pour eux, «l’autre» tenait la forme.
Ils ont trouvé pour «l’autre» une place d’amarrage tranquille à l’extrémité ouest du port, à l’écart de la capitainerie, à côté de «Choupette». Ils se sont aperçu plus tard que «Choupette» hivernait déjà. Les nuages disputent le ciel au soleil sans toutefois s’imposer de manière définitive. Quel que soit le temps, ils feront escale quelques jours à Carcassonne pour se reposer de l’étape de la veille et revisiter le centre ville qu’ils avaient découvert avec plaisir l’année dernière. Ils empruntent la rue Georges Clémenceau et retrouvent sans difficulté leur fauteuil à la terrasse au Bistro Florian sur la Place Carnot à côté de la brasserie Le Longchamp. "L'autre" fait un clin d’œil à "Ediacara"; seuls les lecteurs concernés comprendront.
Samedi 17 septembre
La pluie s’est mise à tomber au petit matin; pas longtemps. Au lever la couverture nuageuse présente quelques petits trous. Au fil de la matinée, le soleil joue des coudes pour se faire un peu plus de place.
Une 2CV grise surveille l’écluse de Carcassonne, au pied de l’hôtel Terminus, en face de la gare. Le hall de l’hôtel a conservé ses aménagements et décors d’origine; au-delà, ils ne savent pas. Ils ne vont pas prendre une chambre; ils ont «l’autre». Ils se rendent à la Place Carnot où le marché se tient le samedi matin. Leur terrasse est occupée par les stands des marchands. Ils s’y installeront en fin d’après-midi.
Dimanche 18 septembre
Les nuages ne laissent pas de place au soleil. Le vent souffle. Ils ont abandonné les shorts et mis une deuxième couche pour le haut.
Un temps à se faire une toile. Le cinéma Colisée s’est installé dans une aile de l’hôtel Terminus. Demain ils recevront à bord une visite inattendue pour trois nuits. Ils prolongeront l’escale à Carcassonne en conséquence et suspendront la rédaction du carnet de bord.
Lundi 19 - jeudi 22 septembre
Le beau temps est revenu sur Carcassonne pour accueillir la passagère clandestine.
Ils sont allés visiter la Cité médiévale qu’ils avaient ignorée l’année dernière. Même en fin de saison, l’affluence est telle que le flux des visiteurs doit être géré par des feux. Ils préfèrent la Bastide qu’ils rejoignent avec un sentiment du devoir accompli. On visite la Cité; la Bastide, on la vit.
Ils ont offert à leur passagère une petite croisière gourmande sur le canal du Midi à bord de «l’autre»: aller et retour à l’écluse d’Herminis avec repas de midi au bistro Rive Belle. Les touristes ordinaires font le trajet en groupe sur un bateau promenade sans escale au bistro.
A Toulouse, elle a trouvé la Fleurée de Pastel; à Carcassonne, la Graine.
Ils ont raccompagné la passagère clandestine à la gare. «Choupette» qui hiverne déjà est sous surveillance électronique. «L’autre» n’a pas osé la toucher. Ils largueront les amarres demain.
Vendredi 23 septembre
En direction de l’est, on quitte le port de Carcassonne en descendant une écluse. Ils ont prévu lever les amarres vers 9:00, à l’ouverture de l’écluse.
Vers 8:00 ils reçoivent un message de la péniche Wietske qui s’est amarrée la veille en amont du port. Ils reportent leur départ au début de l’après-midi, le temps de rencontrer les amis de la péniche et de partager l’apéro avec eux. Ils quittent le port de Carcassonne vers 13:45 à destination de Trèbes. Les premières écluses les accueillent portes ouvertes. A l’écluse l’Evêque, ils laissent monter la péniche «Clair de Lune». Les plantations des berges se dégradent: platanes morts, souches d’arbres abattus, jeunes arbres malingres. Ils amarrent le bateau à Trèbes vers 16:30 h: moins de 3 heures de navigation pour une douzaine de kilomètres et 7 écluses. Le bateau est à peine amarré aux clous, qu’ils doivent le déplacer pour faire de la place à la péniche-hôtel «Enchanté».
Samedi 24 septembre
A Trèbes, les terrasses des bistrots squattent le quai. Les bollards sont sous les tables. Les bateaux n’ont qu’à s’amarrer à la berge, plus loin, à l’aide des clous.
Ils se présentent à l’écluse triple de Trèbes vers 9:45. Une maison flottante appartenant à un type qu’il n’avaient pas encore recensé égaie la berge. «Elyse» est immatriculée au pays de la paix. Vers 11:15, pour la pause de la mi-journée, ils font escale à Marseillette. Le nom de la localité leur plaît. Ils reprennent la navigation à 13:30 et avalent les écluses sans retenu: des simples, des doubles et des triples. A l’écluse double de l’Aiguille, l’éclusier-artiste a complété sa collection de sculptures. Les jeunes platanes s’accrochent à leur tuteur sur les talus arides, puisant leur force dans les racines des ancêtres disparus. La restauration du paysage du canal prendra du temps. Ils amarrent le bateau à La Redorte vers 16:15. Ils ont parcouru 22 kilomètres et franchi 13 écluses. Le ciel se couvre. Les prévisions annoncent des précipitations pour demain. Le cas échéant, ils resteront à quai. C’est dans cette éventualité, qu’ils ont accepté une étape plus longue que d’ordinaire.
Dimanche 25 septembre
Le ciel est couvert. Ils décident de rester à quai pour récupérer de la longue étape de la veille et ne pas être surpris en cours de navigation par les orages annoncés.
Il est des jours où ils n’ont rien à écrire. C’est le cas de ce dimanche gris. Ils pourraient parler de leur activité. Ce fut une journée de farniente à attendre l’orage qui éclata en milieu d’après-midi. Ils pourraient parler du lieu de leur escale. Ils n’ont eu le temps de le parcourir que rapidement dans la matinée et ils n’ont rien à en montrer de particulier. L’église ressemble à un édifice religieux; l’école, à un bâtiment public; le supermarché, à un centre commercial; les maisons, à des bâtiments ordinaires. Il est des endroits, où mème les ruines ne sont pas pittoresques. Dans ce cas, il faut jeter un œil dans l’arrière-cour.
Lundi 26 septembre
Ils quittent le quai de La Redorte vers 9:30 à destination d’Argens-Minervois qu’ils devraient atteindre à la mi-journée, avant la pause des écluses.
Autant ont-ils enchaîné de manière fluide les écluses lors de l’étape précédente, autant ont-ils l’impression de naviguer à contretemps aujourd’hui. Ils doivent régulièrement patienter devant les écluses pour laisser passer des bateaux montants.
Sur la berge de gauche, on coupe, arrache et brûle les platanes malades; sur celle de droite, on arrose les jeunes pousses. Combien de générations d’humains faudra-t-il attendre pour retrouver l’ombre séculaire du canal? Les bateaux se groupent sous les rares arbres miraculeusement épargnés. Et comme toujours en pareilles circonstances, on se demande s’il n’y aurait pas eu un moyen moins radical de lutter contre la maladie.
Ils atteignent Argens-Minervois vers 12:15, comme prévu, malgré les attentes aux écluses. Ils réalisent qu’ils sont à moins de 20 kilomètres de Port la Robine, lieu d’hivernage du bateau.
Contre toute attente, la guinguette «La terrasse du Port» est ouverte le lundi.
Mardi 27 septembre
Ils ont choisi le Somail pour leur dernière escale avant Port la Robine où «l’autre» hivernera.
Ils larguent les amarres vers 10:15 et franchissent l’écluse d’Argens, la dernière de la saison. L’assainissement brutal des plantations du canal se poursuit. On s’acharne sur les platanes malades; on laisse par contre heureusement reposer en paix les épaves. Ils repèrent un spécimen de la catégorie des cabanes flottantes. Ils passent au ralenti de peur que la cabane ne s’effondre sous les remous. Par précaution, à l’attention des bateaux qui n’auraient pas le même égard, la cabane affiche «ralentir». Ils atteignent le Somail vers 12:30. Les berges et les quais sont encombrés. Les rares places disponibles sont réservées par des compagnies de location et des bateaux à passagers. Après un aller-retour, ils trouvent un coin de berge où planter les clous et amarrer le bateau. La fameuse librairie de livres anciens est fermée le mardi. Pour la péniche-épicerie c’est déjà la fin de la saison.
Mercredi 28 septembre
Au Somail, il n’y a ni épicerie, ni boulangerie, ni boucherie. Il y a par contre une librairie peu ordinaire de livres anciens.
Ils prennent le temps de visiter la fameuse librairie avant de larguer les amarres après le repas de midi et l’incontournable sieste. Pour atteindre Port la Robine ils n’ont que quatre kilomètres à parcourir, aucune écluse à franchir. La fin de saison est toute proche. Pour certains bateaux, ils n’y en aura pas de prochaine.
Ils confient «l’autre» aux bons soins de l’entreprise Cathare Marine de Port la Robine et ferment le carnet de bord de la saison 2016.
Ils sont toujours au port Saint-Sauveur de Toulouse. Ils ont été réveillés au petit matin par le bruit d’une averse.
La pompe de cale s’est enclenchée. Ils ne s’en inquiètent plus. Ils savent que le bateau prend l’eau par temps de pluie. C’est le prix à payer pour le toit coulissant. Au lever la couverture nuageuse est toujours présente. Comme prévu, la journée est consacrée à des tâches domestiques: lessive, remplissage des bouteilles d’eau potable, remplacement d’une bonbonne de gaz et surtout nettoyage intérieur intensif du bateau.
«L’autre» se regarde avec complaisance dans la baie vitrée de la capitainerie.
Mardi 30 août
Ils ont décidé de passer une nuit supplémentaire au port Saint-Sauveur de Toulouse.
Ils consacrent la matinée au nettoyage extérieur du bateau. Ils ont passé quelques nuits sous les platanes avant de s’installer au port. Ils ne quitteront pas Toulouse sans une escapade au centre ville pour vérifier qu’ils ont gardé en mémoire les ballades de l’été dernier. La ville rose se mire dans ses devantures. Ils retrouvent la boutique La Fleurée de Pastel qu’elle tenait à revoir. Ils rejoignent le bateau un peu étourdis par le mouvement de la foule. Au fil de l’eau ils ont perdu l’habitude de l’animation du centre ville.
La nuit tombée, les lumières et les reflets théâtralisent le quai. Dans le miroir de l’eau, même l’ordinaire peut séduire.
Jeudi 1er septembre
La veille, à peine se sont-ils installés pour la nuit, qu’ils sentent le bateau bouger et entendent du bruit sur le plat-bord arrière.
Ils se lèvent et aperçoivent un jeune s’enfuir. Le jeune récidive peu de temps après. Ils décident de rentrer les vélos convoités.
Ils larguent les amarres vers 9:30 après une nuit au sommeil trop léger. Ils laissent derrière eux la passerelle des Soupirs et le port Saint-Sauveur de Toulouse. Après quelques trois kilomètres, le canal enjambe l’autoroute dans un curieux bousculement chronologique. Dans le tissu urbain moins dense de la périphérie, le caractère du canal s’affirme. Sur près de deux kilomètres, la berge à tribord est occupée par des bateaux logements, plus nombreux dans la banlieue sud que dans celle du nord. Ils franchissent la première écluse de l’étape, celle de Castanet. L’ancienne maison éclusière est occupée par un restaurant. A la sortie de l’écluse, les platanes offrent généreusement leur ombre. Il ne leur en faut pas plus. Ils plantent les clous et amarrent le bateau après deux petites heures de navigation.
Vendredi 2 septembre
L’été a été sec. Les couleurs de l’automne sont précoces. Les feuilles mortes des platanes nappent déjà la surface de l’eau.
Ils ont largué les amarres vers 9:30. C’est désormais semble-t-il leur heure. Ils franchissent l’écluse de Vic. La maison éclusière est ici aussi occupée par un bistrot. Des chaises longues attendent les clients. C’est toutefois un peu tôt pour amarrer le bateau. Ils n’ont même pas parcouru deux kilomètres. Le canal du Midi, contrairement à celui de Garonne, est sinueux. La végétation étale sa palette de couleurs sous des angles variés. Ils plantent les clous à Montgiscard après deux petites heures de navigation. Ils ont décidé de flâner sur le canal du Midi.
La Brasserie de l'Ecluse est fermée. L’année dernière, c’était jour de repos; cette année, vacances. Sur la place de l’église, le valeureux bistrot Le Chardon reste ouvert tout l’été. L’horloge du clocher de l’église n’a toujours pas été réparée. Comme l’année dernière elle indique 2:27.
Samedi 3 septembre
La végétation n’était pas assez dense pour calmer l’ardeur du soleil. Ils ont souffert du chaud. La nuit aussi. Aujourd’hui, ils devront trouver un meilleur abri. On annonce toujours plus de 30 degrés.
C’est au matin que la température à bord est la moins chaude. Ils somnolent plus longtemps que d’habitude et lèvent les clous vers 10:30. La vitesse sur le canal est limitée à 8 km/h. Ils vont pourtant plus vite que les véhicules bloqués en plein soleil dans un bouchon sur l’autoroute A61 qui longe la voie d’eau. Jusqu’au bief de partage, les écluses simples sont automatisées; les doubles, actionnées par des éclusiers. Ils se présentent devant l’écluse double de Laval en pleine pause de midi et doivent attendre une demie-heure le retour de l’éclusière. A l’approche de l’écluse de Gardouch, ils repèrent l’endroit attendu et amarrent le bateau à deux arbres, après quatre heures de navigation, près de 14 kilomètre et quatre écluses dont deux doubles. Les provisions s’épuisent. Ils n’ont plus que des conserves. Le village est à environ deux kilomètres. Ils n’ont pas le courage de s’y rendre à découvert le long d’une route, maintenant qu’ils ont trouvé de l’ombre. Ils ont passé l’âge de faire de l’auto-stop. A l’écluse, l’Estanquet est ouvert.
Dimanche 4 septembre
Ils avaient amarré le bateau sous des chênes. Les glands ne salissent pas. Par contre ils font du bruit quand ils tombent.
Elle insiste pour larguer les amarres vers 9:00 afin de ne pas devoir patienter au pied d’une écluse en pleine pause de midi. A l’écluse double d’Encassan, l’éclusier leur demande de patienter pour laisser la priorité à une péniche à passagers qui arrivent derrière eux. Ils seraient partis une heure plus tard qu’ils en seraient au même point. Ils font une pause à Port-Lauragais pour ne pas se présenter devant la prochaine écluse à la pause de midi. Ils ne savent pas qu’ils ne la franchiront même pas. Une belle voûte de platanes précède l’écluse et ils décident de planter les clous. «L’autre» ne sera pas seul; d’autres ont eu la même idée. Il est près de 14:00. Ils auront mis cinq heures pour parcourir une douzaine de kilomètres.
Rien ne sert de partir tôt; il faut partir à temps. Mais allez savoir quand il est temps! Demain, ils partiront à l’heure, la leur.
Lundi 5 septembre
Ils se sont endormis au seuil de l’écluse. Ils lèvent les clous vers 11:00. C’est leur heure, ce matin.
Ils franchissent l’écluse de l’Océan, la dernière montante pour eux. Sur la façade de la maison éclusière, une plaque en la mémoire de Thomas Jefferson, symbole de l’amitié franco-américaine. Quelques cinq cents mètres après l’écluse, ils ne peuvent résister à l’invitation d’une généreuse voûte de platanes et de chênes. Au bout de la voûte, le paysage est accablé de soleil. Ils plantent les clous. C’est leur record d’étape: une écluse et moins d’un kilomètre.
Dans l’après-midi, ils décident de reprendre la navigation pour passer la soirée et la nuit à Le Ségala, à quelques deux kilomètres, où leur guide fluvial indique la présence d’un bistrot. Le Relais de Riquet est fermé le lundi. Ils auraient dû s’en douter. Ils en resteront aux conserves.
Ils sont au milieu du bief de partage des eaux entre l’Océan et la Méditerranée, point culminant du canal à 190 m d’altitude. Ici, l’eau stagne dans l’incertitude de son destin. Elle coulera soit vers l’Océan, soit vers la Méditerranée, entraînée par les bateaux qui descendront dans l’une ou l’autre direction.
Mardi 6 septembre
Ils quittent Le Ségala vers 9:45 en renonçant à toute planification de l’étape. A l’écluse de la Méditerranée ils commencent la descente du canal.
Au repos, les écluses sont vides. Il faut attendre le remplissage pour s’y engager. Il faut parfois également attendre que des bateaux montants les franchissent. Et parfois il faut attendre parce que l’écluse est en panne. C’est le cas de l’écluse de Domergue. A la précédente, l’écluse-triple de Laurens, l’éclusier leur a proposé un plateau de figues fraîches cueillies sur place ce matin. Ils en dégustent en attendant le dépannage de l’écluse.
Ils pensaient faire escale à Castelnaudary. A quelques deux kilomètres du but, ils décident de planter les clous et d’amarrer le bateau pour profiter encore de l’ombre des platanes. Il est près de 14:00, la journée sera encore chaude et ils savent que le port de Castelnaudary n’offre pas de places ombragées. Ils savent aussi que devant eux, plus à l’Est, les platanes décimés par un champignon, le chancre coloré, seront plus avares de leur ombre.
Mercredi 7 septembre
Un fort vent plaque le bateau à la berge. Ils ont quelque difficulté à l’en détacher. Moins d’une demie-heure plus tard, ils amarrent le bateau au port de Castelnaudary.
Le soleil est toujours impitoyable. Mais le vent rend la chaleur supportable. La météo annonce une journée pluvieuse pour le lendemain et des passages nuageux pour les jours suivants. Après une semaine d’amarrages en sauvage, ils décident d’une escale de 5 nuits. Le temps de l’escale, ils suspendront la rédaction des carnets de bord, sauf circonstances particulières.
Jeudi 8 – dimanche 11 septembre
Ils réalisent une rencontre improbable avec des amis britanniques en balade dans le sud-ouest de la France, en route pour les Pyrénées.
Ils profitent de l’escale prolongée au port de Castelnaudary pour faire la lessive, deux fois; nettoyer le bateau, un peu; compléter les provisions, en plusieurs fois, sans trop se charger, puisqu’ils ont le temps. Ils retrouvent les terrasses des bistrots de l’Avenue de la République et du Quai du Port. Ils se font livrer à bord une cassole de cassoulet de chez Escudier. Ils se baladent autour du Grand Bassin et visitent l’échelle de quatre écluses de St-Roch qu’ils descendront en quittant Castelnaudary. Deux vélos sauvés des eaux sèchent sur le quai.
Le port se repose et s’endort dans les reflets du coucher de soleil et des réverbères. Demain, «l’autre» reprendra la navigation, à moins que le vent annoncé ne soit trop violent.
Lundi 12 septembre
Ils larguent les amarres vers 9:00 sous un vent soutenu, passent sous le Pont Vieux, traversent le grand bassin et se présentent devant l’échelle d’écluses de St-Roch.
En aval de Castelnaudary, les écluses sont particulièrement nombreuses: les 4 de St-Roch, la double de Gay, la triple de Vivier et des simples qui se succèdent à intervalle rapproché. Sous le vent qui forcit, le canal prend l’allure d’une rivière qui coule. Inutile de pousser jusqu’à Bram aujourd’hui; le bistrot installé dans l’ancienne maison d’écluse est fermé le lundi. A l’approche de l’écluse de la Peyruque, ils décident de planter les clous et d’amarrer le bateau sous une allée de platanes. Ils se souviennent que la maison d’écluse est occupée par une céramiste qui y tient boutique, sert des boissons et des tartelettes au citron faites maison. En deux heures et demie ils ont parcouru à peine sept kilomètres, mais franchi douze écluses.
Mardi 13 septembre
Bram est à une dizaine de kilomètres et six écluses. Ils lèvent les clous vers 9:30 sous un vent de face toujours soutenu.
Des cyclistes qui comme eux luttent contre le vent les devancent sur l’épanchoir de Villepinte. Eux n’auront pas d’attente aux écluses. Sur le versant Est du canal, les bateaux de location sont plus nombreux que sur le versant Ouest. Les éclusiers évitent les bassinées à vide dans un souci d’économie de l’eau. Il faut parfois attendre l’arrivée d’un bateau montant pour le remplissage de l’écluse; parfois également attendre d’être rejoint dans l’écluse par d’autres bateaux pour le déclenchement de l’éclusage. Il leur faut trois heures pour atteindre le petit port de Bram où il reste encore une place pour «l’autre», au pied de la terrasse de L’île aux oiseaux. Un autre a dû s’installer sur la berge.
Mercredi 14 septembre
La veille, ils ont pris le repas du soir à L’île aux oiseaux. A la tombée de la nuit, le bistrot prend des allures de stand de fête foraine.
La nuit, le vent est tombé; la pluie l’a remplacé. Au lever, il pleut toujours. En une nuit, ils ont perdu 10 degrés. Il fait presque frais. Ils resteront à quai aujourd’hui. En fin de matinée, ils font la rencontre inattendue de tricycles étonnants à assistance électrique solaire en route pour le Maroc. Ici, il pleuvinera toute la journée.
Le tagueur a remplacé la peinture par de la mousse, en fredonnant peut-être la chanson de John Lennon.
Jeudi 15 septembre
Au lever le ciel est dégagé. Les prévisions annoncent un retour des perturbations pour demain et après-demain. Ils profiteront de l’accalmie pour atteindre Carcassonne où il laisseront passer le mauvais temps.
Ils quittent le port de Bram vers 9:30. La lumière oblique du début de journée dans la végétation peint des compositions quasi abstraites. Ils en profitent; ils savent qu’au-delà de Carcassonne les plantations ont été décimées par le chancre coloré. «Adagio» a touché le fond; il s’accroche encore à la berge.
Pendant la pause des écluses, ils prennent le repas de midi au restaurant la Rive Belle installé à l’écluse d’Herminis. Le passage des écluses est ralenti par un trafic qui se densifie: bateaux de location et bateaux passagers. Les faubourgs de Carcassonne se profilent sous l’arche d’un pont. Ils amarrent le bateau au port vers 16:15. Ils viennent d’établir leur record d’étape de la saison: 24 kilomètres et 6 écluses en près de 7 heures.
Vendredi 16 septembre
Pour faire escale à Carcassonne avant le retour annoncé du mauvais temps, ils se sont astreints la veille à une étape particulièrement longue; longue pour eux, «l’autre» tenait la forme.
Ils ont trouvé pour «l’autre» une place d’amarrage tranquille à l’extrémité ouest du port, à l’écart de la capitainerie, à côté de «Choupette». Ils se sont aperçu plus tard que «Choupette» hivernait déjà. Les nuages disputent le ciel au soleil sans toutefois s’imposer de manière définitive. Quel que soit le temps, ils feront escale quelques jours à Carcassonne pour se reposer de l’étape de la veille et revisiter le centre ville qu’ils avaient découvert avec plaisir l’année dernière. Ils empruntent la rue Georges Clémenceau et retrouvent sans difficulté leur fauteuil à la terrasse au Bistro Florian sur la Place Carnot à côté de la brasserie Le Longchamp. "L'autre" fait un clin d’œil à "Ediacara"; seuls les lecteurs concernés comprendront.
Samedi 17 septembre
La pluie s’est mise à tomber au petit matin; pas longtemps. Au lever la couverture nuageuse présente quelques petits trous. Au fil de la matinée, le soleil joue des coudes pour se faire un peu plus de place.
Une 2CV grise surveille l’écluse de Carcassonne, au pied de l’hôtel Terminus, en face de la gare. Le hall de l’hôtel a conservé ses aménagements et décors d’origine; au-delà, ils ne savent pas. Ils ne vont pas prendre une chambre; ils ont «l’autre». Ils se rendent à la Place Carnot où le marché se tient le samedi matin. Leur terrasse est occupée par les stands des marchands. Ils s’y installeront en fin d’après-midi.
Dimanche 18 septembre
Les nuages ne laissent pas de place au soleil. Le vent souffle. Ils ont abandonné les shorts et mis une deuxième couche pour le haut.
Un temps à se faire une toile. Le cinéma Colisée s’est installé dans une aile de l’hôtel Terminus. Demain ils recevront à bord une visite inattendue pour trois nuits. Ils prolongeront l’escale à Carcassonne en conséquence et suspendront la rédaction du carnet de bord.
Lundi 19 - jeudi 22 septembre
Le beau temps est revenu sur Carcassonne pour accueillir la passagère clandestine.
Ils sont allés visiter la Cité médiévale qu’ils avaient ignorée l’année dernière. Même en fin de saison, l’affluence est telle que le flux des visiteurs doit être géré par des feux. Ils préfèrent la Bastide qu’ils rejoignent avec un sentiment du devoir accompli. On visite la Cité; la Bastide, on la vit.
Ils ont offert à leur passagère une petite croisière gourmande sur le canal du Midi à bord de «l’autre»: aller et retour à l’écluse d’Herminis avec repas de midi au bistro Rive Belle. Les touristes ordinaires font le trajet en groupe sur un bateau promenade sans escale au bistro.
A Toulouse, elle a trouvé la Fleurée de Pastel; à Carcassonne, la Graine.
Ils ont raccompagné la passagère clandestine à la gare. «Choupette» qui hiverne déjà est sous surveillance électronique. «L’autre» n’a pas osé la toucher. Ils largueront les amarres demain.
Vendredi 23 septembre
En direction de l’est, on quitte le port de Carcassonne en descendant une écluse. Ils ont prévu lever les amarres vers 9:00, à l’ouverture de l’écluse.
Vers 8:00 ils reçoivent un message de la péniche Wietske qui s’est amarrée la veille en amont du port. Ils reportent leur départ au début de l’après-midi, le temps de rencontrer les amis de la péniche et de partager l’apéro avec eux. Ils quittent le port de Carcassonne vers 13:45 à destination de Trèbes. Les premières écluses les accueillent portes ouvertes. A l’écluse l’Evêque, ils laissent monter la péniche «Clair de Lune». Les plantations des berges se dégradent: platanes morts, souches d’arbres abattus, jeunes arbres malingres. Ils amarrent le bateau à Trèbes vers 16:30 h: moins de 3 heures de navigation pour une douzaine de kilomètres et 7 écluses. Le bateau est à peine amarré aux clous, qu’ils doivent le déplacer pour faire de la place à la péniche-hôtel «Enchanté».
Samedi 24 septembre
A Trèbes, les terrasses des bistrots squattent le quai. Les bollards sont sous les tables. Les bateaux n’ont qu’à s’amarrer à la berge, plus loin, à l’aide des clous.
Ils se présentent à l’écluse triple de Trèbes vers 9:45. Une maison flottante appartenant à un type qu’il n’avaient pas encore recensé égaie la berge. «Elyse» est immatriculée au pays de la paix. Vers 11:15, pour la pause de la mi-journée, ils font escale à Marseillette. Le nom de la localité leur plaît. Ils reprennent la navigation à 13:30 et avalent les écluses sans retenu: des simples, des doubles et des triples. A l’écluse double de l’Aiguille, l’éclusier-artiste a complété sa collection de sculptures. Les jeunes platanes s’accrochent à leur tuteur sur les talus arides, puisant leur force dans les racines des ancêtres disparus. La restauration du paysage du canal prendra du temps. Ils amarrent le bateau à La Redorte vers 16:15. Ils ont parcouru 22 kilomètres et franchi 13 écluses. Le ciel se couvre. Les prévisions annoncent des précipitations pour demain. Le cas échéant, ils resteront à quai. C’est dans cette éventualité, qu’ils ont accepté une étape plus longue que d’ordinaire.
Dimanche 25 septembre
Le ciel est couvert. Ils décident de rester à quai pour récupérer de la longue étape de la veille et ne pas être surpris en cours de navigation par les orages annoncés.
Il est des jours où ils n’ont rien à écrire. C’est le cas de ce dimanche gris. Ils pourraient parler de leur activité. Ce fut une journée de farniente à attendre l’orage qui éclata en milieu d’après-midi. Ils pourraient parler du lieu de leur escale. Ils n’ont eu le temps de le parcourir que rapidement dans la matinée et ils n’ont rien à en montrer de particulier. L’église ressemble à un édifice religieux; l’école, à un bâtiment public; le supermarché, à un centre commercial; les maisons, à des bâtiments ordinaires. Il est des endroits, où mème les ruines ne sont pas pittoresques. Dans ce cas, il faut jeter un œil dans l’arrière-cour.
Lundi 26 septembre
Ils quittent le quai de La Redorte vers 9:30 à destination d’Argens-Minervois qu’ils devraient atteindre à la mi-journée, avant la pause des écluses.
Autant ont-ils enchaîné de manière fluide les écluses lors de l’étape précédente, autant ont-ils l’impression de naviguer à contretemps aujourd’hui. Ils doivent régulièrement patienter devant les écluses pour laisser passer des bateaux montants.
Sur la berge de gauche, on coupe, arrache et brûle les platanes malades; sur celle de droite, on arrose les jeunes pousses. Combien de générations d’humains faudra-t-il attendre pour retrouver l’ombre séculaire du canal? Les bateaux se groupent sous les rares arbres miraculeusement épargnés. Et comme toujours en pareilles circonstances, on se demande s’il n’y aurait pas eu un moyen moins radical de lutter contre la maladie.
Ils atteignent Argens-Minervois vers 12:15, comme prévu, malgré les attentes aux écluses. Ils réalisent qu’ils sont à moins de 20 kilomètres de Port la Robine, lieu d’hivernage du bateau.
Contre toute attente, la guinguette «La terrasse du Port» est ouverte le lundi.
Mardi 27 septembre
Ils ont choisi le Somail pour leur dernière escale avant Port la Robine où «l’autre» hivernera.
Ils larguent les amarres vers 10:15 et franchissent l’écluse d’Argens, la dernière de la saison. L’assainissement brutal des plantations du canal se poursuit. On s’acharne sur les platanes malades; on laisse par contre heureusement reposer en paix les épaves. Ils repèrent un spécimen de la catégorie des cabanes flottantes. Ils passent au ralenti de peur que la cabane ne s’effondre sous les remous. Par précaution, à l’attention des bateaux qui n’auraient pas le même égard, la cabane affiche «ralentir». Ils atteignent le Somail vers 12:30. Les berges et les quais sont encombrés. Les rares places disponibles sont réservées par des compagnies de location et des bateaux à passagers. Après un aller-retour, ils trouvent un coin de berge où planter les clous et amarrer le bateau. La fameuse librairie de livres anciens est fermée le mardi. Pour la péniche-épicerie c’est déjà la fin de la saison.
Mercredi 28 septembre
Au Somail, il n’y a ni épicerie, ni boulangerie, ni boucherie. Il y a par contre une librairie peu ordinaire de livres anciens.
Ils prennent le temps de visiter la fameuse librairie avant de larguer les amarres après le repas de midi et l’incontournable sieste. Pour atteindre Port la Robine ils n’ont que quatre kilomètres à parcourir, aucune écluse à franchir. La fin de saison est toute proche. Pour certains bateaux, ils n’y en aura pas de prochaine.
Ils confient «l’autre» aux bons soins de l’entreprise Cathare Marine de Port la Robine et ferment le carnet de bord de la saison 2016.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire